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Renée Fregosi : « Le PS soumis aux Insoumis ne pourra pas être le point de départ d’un renouveau réformiste »
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Après des mois de campagne en ordre dispersé malgré les nombreux appels à l’union, c’est finalement en vue des élections législatives de juin prochain que les partis de gauche se sont rassemblés… autour de Jean-Luc Mélenchon.
Jean-Luc Mélenchon et Olivier Faure. Crédit : Pierrick Villette/ABACAPRESS.COM |
Fort de ses 21% au premier tour de l’élection présidentielle, il mène désormais la « Nouvelle union populaire écologique sociale », composée de La France Insoumise, du Parti communiste, d’Europe Écologie Les Verts et du Parti socialiste. « Nous sommes en train d’écrire une page de l’histoire politique de la France », a déclaré Jean-Luc Mélenchon samedi 7 mai à Aubervilliers, lors de la première réunion de la Nupes.
Renée Fregosi, philosophe et politologue, auteure de Comment je n’ai pas fait carrière au PS. La social-démocratie empêchée (éd. Balland, 2021), revient sur les conséquences de cette union sur la gauche et la social-démocratie française.
En acceptant les positions anticapitalistes de La France Insoumise (LFI) et sa stratégie de désobéissance aux traités européens, le Parti socialiste (PS) a-t-il signé son arrêt de mort ? La social-démocratie a-t-elle un avenir en France ?
Renée Fregosi – Le Parti socialiste est en état de mort cérébrale depuis longtemps. Il est douteux que la nouvelle alliance nouée avec LFI puisse réanimer une réflexion constructive d’un projet réformiste. Ce PS soumis aux Insoumis et réduit à la portion congrue, ne pourra pas être le point de départ d’un renouveau dans ce sens.
Mais pour sortir de l’impasse, les socialistes ne peuvent pas non plus se contenter de se proclamer soudainement sociaux-démocrates. Ils doivent proposer un projet qui à la fois garderait l’esprit de la social-démocratie européenne historique et se donnerait de nouveaux moyens de contraindre le capitalisme à des compromis avantageux pour les classes populaires et moyennes. Car dans sa phase actuelle, boosté par les innovations technologiques, le capitalisme hyper financiarisé et plus mondialisé que jamais s’est émancipé de la tutelle des États (depuis la sortie du cadre de Bretton Woods et la libéralisation des flux de capitaux). Pour reprendre la main et retrouver la voie de la régulation du capitalisme, de sa « domestication » (à tous les sens du terme), les partisans de cette vision politique doivent se coordonner régionalement et internationalement et non pas se retrancher sur leur territoire national (en tous les cas lorsque les pays sont de taille moyenne comme en Europe).
Il ne s’agit donc pas de désobéir aux traités européens, et encore moins de sortir de l’Union européenne et de l’euro, mais d’enfin poser les bases d’un projet de transformation sociale à l’échelle européenne. Or, cela est sans doute moins irréaliste que jamais étant donné le rapprochement des situations nationales des pays européens. Réindustrialisation, nouveaux enjeux de défense, question énergétique, immigration, menace islamiste, déclassement des couches populaires et des classes moyennes, insécurité culturelle et même question laïque si on la pose correctement en termes d’émancipation individuelle, constituent autant de terrains d’entente possibles. Voir notamment les nouvelles orientations prises récemment par les sociaux-démocrates au Danemark et en Suède quant à la question migratoire, ou en Allemagne à propos du budget de la défense.
Quelle est la définition de la laïcité pour LFI ? Quelle est celle du PS ? Peut-on parler d’un changement de ligne radical sur cette question pour le PS qui a signé l’accord ?
Renée Fregosi – La défense de la laïcité n’est en aucune façon un thème de LFI. Quant au PS, « le parti d’Épinay » (nouveau parti socialiste refondé en 1969 sur les décombres de la SFIO, pris en main par François Mitterrand en 1971 au congrès d’Épinay) avait sciemment abandonné ce terrain. Dans les années 80, les militants laïques y étaient moqués comme des ringards. Puis à partir des années 2000, lorsque l’offensive islamiste est apparue au grand jour, les défenseurs de la laïcité étaient conspués pour leur prétendue intolérance vis-à-vis des musulmans, et étaient accusés de « faire le jeu » de l’extrême droite.
Alors, pour les négociateurs socialistes de cet accord avec LFI, l’introduction du mot laïcité a probablement simplement servi de « marqueur » pour sauver la face sans renvoyer à une conviction solidement ancrée. L’islamo-gauchisme, cette complaisance à l’islamisme au motif que les musulmans seraient les nouveaux « damnés de la terre », a depuis longtemps touché également le PS, même si c’est sur un mode mineur par rapport à LFI.
Vous avez longtemps travaillé au sein du PS, dont vous dénoncez dans votre livre le manque de colonne vertébrale idéologique. Quand et comment le PS s’est-il effondré ?
Renée Fregosi – La social-démocratie n’a jamais existé en France que très fugacement et seulement dans la pratique, malgré la tentative de théorisation de Léon Blum. En 1936, avec les accords de Matignon, on est dans le schéma social-démocrate classique : grâce à une forte mobilisation de la classe ouvrière, un compromis passé entre le travail et le capital est garanti par la Loi. En 1945, avec le Conseil national de la Résistance, on est dans une configuration d’union nationale pour la reconstruction de la France et contre le passé collaborationniste. Bien que différents donc, les deux mouvements ont pareillement enclenché des dynamiques d’ascension sociale et de répartition plus juste des richesses tant matérielles que culturelles. A pris ainsi forme dans le cadre de l’État-nation français la République sociale que Jaurès appelait de ses vœux, complétant la République politique (démocratie électorale) et la République laïque (émancipation individuelle de l’emprise religieuse).
Mais du point de vue doctrinal, le PS n’a pas assimilé ces expériences et a bâti au contraire ses succès des années 70-80 sur un flou savamment orchestré quant à son rapport au capitalisme. On y dénigrait ainsi volontiers la social-démocratie nordique considérée comme « droitière ». Toutefois, jusqu’à la victoire de 1981, une réflexion théorique de bon niveau s’était poursuivie notamment grâce au CERES de Jean-Pierre Chevènement, au groupe de Jean Poperen et à certains intellectuels proches de Michel Rocard. Mais depuis trente ans, aucune véritable conceptualisation du renoncement salutaire au fantasme de rupture avec le capitalisme n’a été produite. Autrement dit, pas plus avant qu’après 1983 (et ledit « tournant de la rigueur »), n’a été conçue ni réellement adoptée une politique social-démocrate adaptée à notre époque.
Manquant d’une analyse non seulement des rapports de production dans la mondialisation actuelle, mais aussi des nouvelles menaces et des facteurs de déstabilisation de nos démocraties, le PS était toujours à la merci d’un naufrage comme on l’a vu en 2002. Toutefois, le charisme d’un leader, aussi falot fût-il, et « l’ancrage local » permettaient de maintenir le navire à flot. Mais aujourd’hui le navire fait eau de toute part.
Lire aussi – Philippe Méchet : « Il faut redonner de la dignité à la fonction politique »
Certains socialistes pensent qu’ils n’ont pas d’autre choix que d’accepter un rapprochement avec LFI pour conserver une présence à l’Assemblée nationale, et espèrent incarner une résistance interne au sein de cette union. Martine Aubry et Raphaël Glucksmann, par exemple, ont apporté leur soutien à l’accord d’union, tout en rappelant qu’ils continueraient à se battre pour l’Europe. Qu’en pensez-vous ?
Renée Fregosi – Le sauve-qui-peut pousse en effet certains, parmi les plus jeunes, les plus opportunistes, les plus cyniques, à sauter sur le radeau de la Nupes, qui est celui des dupes. L’électorat territorial résiduel du PS a jusque-là résisté en grande partie grâce à un double attachement : à l’histoire longue du parti et à des élus appréciés pour leur personnalité propre, leur engagement, leur savoir-faire. Ce n’est donc pas en s’alignant sur LFI que les candidats du PS officiel feront des étincelles dans les malheureuses 70 circonscriptions qui leurs sont dévolues.
François Hollande, Bernard Cazeneuve, Stéphane Le Foll ou Jean-Christophe Cambadélis, qui rejettent cet accord, ne portent-ils pas aussi une responsabilité dans l’effondrement du PS ?
Renée Fregosi – Certainement ! Et c’est bien là le tragique de la situation : « pas un pour rattraper l’autre », comme on dit. Héritiers plus ou moins lointains de François Mitterrand, ils en ont gardé les travers sans en avoir la hauteur. Ils sont toujours plus habiles à la manœuvre de congrès qu’à affronter le réel de la ré-oligarchisation des élites, de l’archipélisation de la société ou de l’offensive islamiste. À refuser de reconnaître comme tels les dictateurs lorsqu’ils sont soi-disant « de gauche » comme à Cuba, au Venezuela ou dans l’Autorité palestinienne, à se laisser prendre dans la logique qui considère que la révolution est plus à gauche que le réformisme, et à vouloir ménager la chèvre et le chou dans des synthèses molles, on finit par perdre sur tous les tableaux.
Que dire des élus de l’aile gauche du PS, proches des frondeurs, qui ont critiqué le quinquennat de François Hollande et dont certains se retrouvent aujourd’hui aux côtés de Macron, comme Richard Ferrand ou Olivier Dussopt ?
Renée Fregosi – La critique du quinquennat de François Hollande, balloté entre gauchisme sociétal et droitisme social, est certes légitime. Ce qui l’était moins, c’étaient souvent les motivations et les expressions de la critique. Le président aurait dû à l’époque, réagir plus fermement. Au demeurant, c’est plutôt cohérent de quitter le PS si on ne s’y retrouve plus. Certains ont rejoint Macron par conviction, parce qu’ils étaient sur la ligne « Terra nova » qui préférait les bobos et « les quartiers » à la France périphérique, se revendiquaient d’une « laïcité ouverte » ou croyaient aux vertus de la technocratie. D’autres l’ont sans doute fait davantage par opportunisme ou par fascination pour le personnage. D’autres encore peut-être parce qu’ils pensaient que c’était la seule façon de sauver ce qu’ils s’imaginent être « la » gauche et ses « valeurs ».
En 1997, Lionel Jospin a réuni des partis de gauche avec d’importants désaccords sur l’Europe ou l’économie : le PS, les radicaux, les Verts, mais aussi le Mouvement des citoyens et le Parti communiste (PC). En quoi la « gauche plurielle » de 2022 est-elle différente ?
Renée Fregosi – Léon Blum réprouvait « la religion de l’unité », c’est-à-dire cette croyance qu’il faudrait unir les partis se revendiquant de la gauche même lorsque leurs divergences touchent des enjeux fondamentaux. Les rares moments historiques (1936, 1945, 1981, 1997) où des alliances électorales et/ou gouvernementales entre des gauches « irréconciliables » sur le fond ont pu être victorieuses, sont toujours advenus lorsque le projet réformiste était hégémonique car c’est le seul qui permettent des compromis fructueux. Or, c’est sous la domination idéologique et politique de LFI que Nupes rassemble les fractions les plus anticapitalistes, islamo-gauchistes, wokes, néo-féministes ou écologistes punitifs, des Verts, du PC et du PS. Cela provoque donc des mouvements scissionnistes dans le PS aujourd’hui, demain sans doute au sein des Verts et peut-être même au PC.
La culture politique de Jean-Luc Mélenchon est très différente de celle du PS ou des Verts. Dans l’hypothèse d’une majorité de cette « Nouvelle union populaire écologique et sociale », une telle union peut-elle gouverner durablement ou est-elle vouée, à terme, à l’éclatement ?
Renée Fregosi – La formation politique personnelle de Jean-Luc Mélenchon est trotsko-mitterrandienne, pas très éloignée d’ailleurs de celle de plusieurs anciens hiérarques socialistes. Ce que le leader de LFI pense en son for intérieur importe donc peu. Sa personnalité en revanche, peut être un handicap car l’art de gouverner consiste à la fois dans un volontarisme de conviction et une capacité à construire de larges compromis. Mais ce qui serait surtout dirimant, c’est la nature profondément conflictuelle du projet de LFI : fantasme rupturiste, fascination pour la violence révolutionnaire, idéologie multiculturaliste de la « créolisation », complaisance à l’islamisme, et propositions aussi démagogiques que désastreuses comme les nationalisations en cascade, le blocage des prix ou la retraite à 60 ans.
Renée Fregosi, philosophe et politologue, auteure de Comment je n’ai pas fait carrière au PS. La social-démocratie empêchée (éd. Balland, 2021), revient sur les conséquences de cette union sur la gauche et la social-démocratie française.
En acceptant les positions anticapitalistes de La France Insoumise (LFI) et sa stratégie de désobéissance aux traités européens, le Parti socialiste (PS) a-t-il signé son arrêt de mort ? La social-démocratie a-t-elle un avenir en France ?
Renée Fregosi – Le Parti socialiste est en état de mort cérébrale depuis longtemps. Il est douteux que la nouvelle alliance nouée avec LFI puisse réanimer une réflexion constructive d’un projet réformiste. Ce PS soumis aux Insoumis et réduit à la portion congrue, ne pourra pas être le point de départ d’un renouveau dans ce sens.
Mais pour sortir de l’impasse, les socialistes ne peuvent pas non plus se contenter de se proclamer soudainement sociaux-démocrates. Ils doivent proposer un projet qui à la fois garderait l’esprit de la social-démocratie européenne historique et se donnerait de nouveaux moyens de contraindre le capitalisme à des compromis avantageux pour les classes populaires et moyennes. Car dans sa phase actuelle, boosté par les innovations technologiques, le capitalisme hyper financiarisé et plus mondialisé que jamais s’est émancipé de la tutelle des États (depuis la sortie du cadre de Bretton Woods et la libéralisation des flux de capitaux). Pour reprendre la main et retrouver la voie de la régulation du capitalisme, de sa « domestication » (à tous les sens du terme), les partisans de cette vision politique doivent se coordonner régionalement et internationalement et non pas se retrancher sur leur territoire national (en tous les cas lorsque les pays sont de taille moyenne comme en Europe).
Il ne s’agit donc pas de désobéir aux traités européens, et encore moins de sortir de l’Union européenne et de l’euro, mais d’enfin poser les bases d’un projet de transformation sociale à l’échelle européenne. Or, cela est sans doute moins irréaliste que jamais étant donné le rapprochement des situations nationales des pays européens. Réindustrialisation, nouveaux enjeux de défense, question énergétique, immigration, menace islamiste, déclassement des couches populaires et des classes moyennes, insécurité culturelle et même question laïque si on la pose correctement en termes d’émancipation individuelle, constituent autant de terrains d’entente possibles. Voir notamment les nouvelles orientations prises récemment par les sociaux-démocrates au Danemark et en Suède quant à la question migratoire, ou en Allemagne à propos du budget de la défense.
Quelle est la définition de la laïcité pour LFI ? Quelle est celle du PS ? Peut-on parler d’un changement de ligne radical sur cette question pour le PS qui a signé l’accord ?
Renée Fregosi – La défense de la laïcité n’est en aucune façon un thème de LFI. Quant au PS, « le parti d’Épinay » (nouveau parti socialiste refondé en 1969 sur les décombres de la SFIO, pris en main par François Mitterrand en 1971 au congrès d’Épinay) avait sciemment abandonné ce terrain. Dans les années 80, les militants laïques y étaient moqués comme des ringards. Puis à partir des années 2000, lorsque l’offensive islamiste est apparue au grand jour, les défenseurs de la laïcité étaient conspués pour leur prétendue intolérance vis-à-vis des musulmans, et étaient accusés de « faire le jeu » de l’extrême droite.
Alors, pour les négociateurs socialistes de cet accord avec LFI, l’introduction du mot laïcité a probablement simplement servi de « marqueur » pour sauver la face sans renvoyer à une conviction solidement ancrée. L’islamo-gauchisme, cette complaisance à l’islamisme au motif que les musulmans seraient les nouveaux « damnés de la terre », a depuis longtemps touché également le PS, même si c’est sur un mode mineur par rapport à LFI.
Vous avez longtemps travaillé au sein du PS, dont vous dénoncez dans votre livre le manque de colonne vertébrale idéologique. Quand et comment le PS s’est-il effondré ?
Renée Fregosi – La social-démocratie n’a jamais existé en France que très fugacement et seulement dans la pratique, malgré la tentative de théorisation de Léon Blum. En 1936, avec les accords de Matignon, on est dans le schéma social-démocrate classique : grâce à une forte mobilisation de la classe ouvrière, un compromis passé entre le travail et le capital est garanti par la Loi. En 1945, avec le Conseil national de la Résistance, on est dans une configuration d’union nationale pour la reconstruction de la France et contre le passé collaborationniste. Bien que différents donc, les deux mouvements ont pareillement enclenché des dynamiques d’ascension sociale et de répartition plus juste des richesses tant matérielles que culturelles. A pris ainsi forme dans le cadre de l’État-nation français la République sociale que Jaurès appelait de ses vœux, complétant la République politique (démocratie électorale) et la République laïque (émancipation individuelle de l’emprise religieuse).
Mais du point de vue doctrinal, le PS n’a pas assimilé ces expériences et a bâti au contraire ses succès des années 70-80 sur un flou savamment orchestré quant à son rapport au capitalisme. On y dénigrait ainsi volontiers la social-démocratie nordique considérée comme « droitière ». Toutefois, jusqu’à la victoire de 1981, une réflexion théorique de bon niveau s’était poursuivie notamment grâce au CERES de Jean-Pierre Chevènement, au groupe de Jean Poperen et à certains intellectuels proches de Michel Rocard. Mais depuis trente ans, aucune véritable conceptualisation du renoncement salutaire au fantasme de rupture avec le capitalisme n’a été produite. Autrement dit, pas plus avant qu’après 1983 (et ledit « tournant de la rigueur »), n’a été conçue ni réellement adoptée une politique social-démocrate adaptée à notre époque.
Manquant d’une analyse non seulement des rapports de production dans la mondialisation actuelle, mais aussi des nouvelles menaces et des facteurs de déstabilisation de nos démocraties, le PS était toujours à la merci d’un naufrage comme on l’a vu en 2002. Toutefois, le charisme d’un leader, aussi falot fût-il, et « l’ancrage local » permettaient de maintenir le navire à flot. Mais aujourd’hui le navire fait eau de toute part.
Lire aussi – Philippe Méchet : « Il faut redonner de la dignité à la fonction politique »
Certains socialistes pensent qu’ils n’ont pas d’autre choix que d’accepter un rapprochement avec LFI pour conserver une présence à l’Assemblée nationale, et espèrent incarner une résistance interne au sein de cette union. Martine Aubry et Raphaël Glucksmann, par exemple, ont apporté leur soutien à l’accord d’union, tout en rappelant qu’ils continueraient à se battre pour l’Europe. Qu’en pensez-vous ?
Renée Fregosi – Le sauve-qui-peut pousse en effet certains, parmi les plus jeunes, les plus opportunistes, les plus cyniques, à sauter sur le radeau de la Nupes, qui est celui des dupes. L’électorat territorial résiduel du PS a jusque-là résisté en grande partie grâce à un double attachement : à l’histoire longue du parti et à des élus appréciés pour leur personnalité propre, leur engagement, leur savoir-faire. Ce n’est donc pas en s’alignant sur LFI que les candidats du PS officiel feront des étincelles dans les malheureuses 70 circonscriptions qui leurs sont dévolues.
François Hollande, Bernard Cazeneuve, Stéphane Le Foll ou Jean-Christophe Cambadélis, qui rejettent cet accord, ne portent-ils pas aussi une responsabilité dans l’effondrement du PS ?
Renée Fregosi – Certainement ! Et c’est bien là le tragique de la situation : « pas un pour rattraper l’autre », comme on dit. Héritiers plus ou moins lointains de François Mitterrand, ils en ont gardé les travers sans en avoir la hauteur. Ils sont toujours plus habiles à la manœuvre de congrès qu’à affronter le réel de la ré-oligarchisation des élites, de l’archipélisation de la société ou de l’offensive islamiste. À refuser de reconnaître comme tels les dictateurs lorsqu’ils sont soi-disant « de gauche » comme à Cuba, au Venezuela ou dans l’Autorité palestinienne, à se laisser prendre dans la logique qui considère que la révolution est plus à gauche que le réformisme, et à vouloir ménager la chèvre et le chou dans des synthèses molles, on finit par perdre sur tous les tableaux.
Que dire des élus de l’aile gauche du PS, proches des frondeurs, qui ont critiqué le quinquennat de François Hollande et dont certains se retrouvent aujourd’hui aux côtés de Macron, comme Richard Ferrand ou Olivier Dussopt ?
Renée Fregosi – La critique du quinquennat de François Hollande, balloté entre gauchisme sociétal et droitisme social, est certes légitime. Ce qui l’était moins, c’étaient souvent les motivations et les expressions de la critique. Le président aurait dû à l’époque, réagir plus fermement. Au demeurant, c’est plutôt cohérent de quitter le PS si on ne s’y retrouve plus. Certains ont rejoint Macron par conviction, parce qu’ils étaient sur la ligne « Terra nova » qui préférait les bobos et « les quartiers » à la France périphérique, se revendiquaient d’une « laïcité ouverte » ou croyaient aux vertus de la technocratie. D’autres l’ont sans doute fait davantage par opportunisme ou par fascination pour le personnage. D’autres encore peut-être parce qu’ils pensaient que c’était la seule façon de sauver ce qu’ils s’imaginent être « la » gauche et ses « valeurs ».
En 1997, Lionel Jospin a réuni des partis de gauche avec d’importants désaccords sur l’Europe ou l’économie : le PS, les radicaux, les Verts, mais aussi le Mouvement des citoyens et le Parti communiste (PC). En quoi la « gauche plurielle » de 2022 est-elle différente ?
Renée Fregosi – Léon Blum réprouvait « la religion de l’unité », c’est-à-dire cette croyance qu’il faudrait unir les partis se revendiquant de la gauche même lorsque leurs divergences touchent des enjeux fondamentaux. Les rares moments historiques (1936, 1945, 1981, 1997) où des alliances électorales et/ou gouvernementales entre des gauches « irréconciliables » sur le fond ont pu être victorieuses, sont toujours advenus lorsque le projet réformiste était hégémonique car c’est le seul qui permettent des compromis fructueux. Or, c’est sous la domination idéologique et politique de LFI que Nupes rassemble les fractions les plus anticapitalistes, islamo-gauchistes, wokes, néo-féministes ou écologistes punitifs, des Verts, du PC et du PS. Cela provoque donc des mouvements scissionnistes dans le PS aujourd’hui, demain sans doute au sein des Verts et peut-être même au PC.
La culture politique de Jean-Luc Mélenchon est très différente de celle du PS ou des Verts. Dans l’hypothèse d’une majorité de cette « Nouvelle union populaire écologique et sociale », une telle union peut-elle gouverner durablement ou est-elle vouée, à terme, à l’éclatement ?
Renée Fregosi – La formation politique personnelle de Jean-Luc Mélenchon est trotsko-mitterrandienne, pas très éloignée d’ailleurs de celle de plusieurs anciens hiérarques socialistes. Ce que le leader de LFI pense en son for intérieur importe donc peu. Sa personnalité en revanche, peut être un handicap car l’art de gouverner consiste à la fois dans un volontarisme de conviction et une capacité à construire de larges compromis. Mais ce qui serait surtout dirimant, c’est la nature profondément conflictuelle du projet de LFI : fantasme rupturiste, fascination pour la violence révolutionnaire, idéologie multiculturaliste de la « créolisation », complaisance à l’islamisme, et propositions aussi démagogiques que désastreuses comme les nationalisations en cascade, le blocage des prix ou la retraite à 60 ans.
Propos recueillis par Aurélien Tillier
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