Le cinéma, 50 ans de passion, de Nicolas Seydoux

En 2023, la réindustrialisation mise à l'épreuve

La dynamique positive autour de la réindustrialisation est incontestable. Mais les chantiers et les obstacles restent nombreux pour relever le défi.

(Pixabay / Pexels / CC0)

L'usine de jouets Meccano à Calais fermera ses portes d’ici à 2024, a annoncé le 22 février dernier le groupe canadien Spin Master, qui pointe du doigt un « manque de compétitivité du site ». Quelques jours plus tard, le 3 mars, la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a déclaré qu’un nouvel atelier industriel de Framatome, entre-prise française spécialisée dans le nucléaire, ouvrirait en 2026 au Creusot (Saône-et-Loire). Elle fabriquera des pièces pour les futures centrales, auparavant produites en Europe de l’Est, et créera 70 emplois. Derrière ces deux exemples dissonants, une question : la réindustrialisation est-elle en marche ?

Plusieurs indicateurs suscitent l’optimisme. En 2022, 80 créations nettes d’usines – 150 ouvertures et 70 fermetures – ont été recensées par le cabinet Trendeo, qui observe l’emploi et l’investissement. Si ce solde, positif depuis 2016, est inférieur à celui de l’année 2021, où ont eu lieu 123 créations nettes d’usines, il n’en est pas moins le deuxième meilleur score depuis 2009, preuve d’une vraie dynamique. « À ce rythme, quatre années permettraient d’effacer le total des pertes d’usines depuis 2009 », promet le rapport de Trendeo. « Même si ça n’arrivait qu’en six ans, ce serait souhaitable », confirme David Cousquer, fondateur du cabinet.

Le voyant de l’emploi industriel est aussi au vert. En déduisant les suppressions de postes, l’industrie manufacturière est l’activité qui a créé le plus d’emplois en 2022, devant les services et le numérique. Pas moins de 36 692 nouveaux jobs industriels ont été enregistrés en France, en hausse de 14% par rapport à l’année précédente. « Il faut tout de même se demander de quel type d’emploi il s’agit », nuance Aurélien Gohier, animateur du podcast Industry4good. « On entend souvent parler des ingénieurs et c’est important, mais on parle moins des techniciens supérieurs, des techniciens non-qualifiés et des ouvriers », ajoute-t-il.

Crise énergétique

Depuis la crise sanitaire, de nombreuses entreprises ont décidé de relocaliser tout ou partie de leur production en France, ou d’ouvrir d’autres usines. C’est le cas du Coq Sportif, qui a lancé en 2021 la construction d’un nouveau site, ou encore de Seqens, qui produira d'ici à 2026 du paracétamol dans une usine en Isère. Trendeo recense 49 relocalisations en 2022. L’année 2021 en comptait 90, mais « malgré cette inflexion, le niveau des relocalisations reste très supérieur à ce qu’il était avant le Covid », rassure David Cousquer. 

La réindustrialisation semble donc enclenchée. « Il y a un élan incontestable », résume Aurélien Gohier. Pourtant, elle est aujourd’hui confrontée à des défis majeurs, à la fois conjoncturels – causés par la situation du monde – et structurels – la manière dont on réindustrialise. Parmi eux, la crise de l’énergie liée à la guerre en Ukraine est un dangereux obstacle. Selon une étude de l’Insee parue en décembre 2022, les industriels prévoient en moyenne une hausse de 132% du prix de l’électricité pour 2023. En octobre dernier, la direction du groupe Michelin expliquait que sa facture d’énergie passerait de 300 millions d’euros pour 2021 à 900 millions en 2022, pour dépasser le milliard l’année suivante.

Certaines entreprises « énergo-intensives », consommant beaucoup d’énergie, ont déjà dû suspendre leur activité. Duralex, qui fabrique de la vaisselle en verre trempé, a annoncé en novembre qu’elle mettait ses fours à l’arrêt jusqu’en avril pour économiser 50% de sa consommation d’énergie. Sans compter que les industriels peuvent trouver de l’énergie moins chère ailleurs. Le gaz naturel aux États-Unis, extrait directement du sol américain, est six fois moins cher qu’en Europe, selon les chiffres de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd). L’Inflation Reduction Act, adopté en août 2022, permet aussi aux États-Unis d’attirer les industriels européens. Cette loi protectionniste prévoit des subventions importantes pour les usines fabriquant outre-Atlantique.

Manque de sens

Comme d’autres entreprises de chimie, le groupe allemand BASF a déjà annoncé la fermeture de plusieurs sites en Allemagne et en Belgique, au profit des États-Unis. « Cela pourrait donner lieu à une vague de désindustrialisation en Europe », avertit Olivier Lluansi, spécialiste de l’industrie. 

L’autre épreuve pour la réindustrialisation est la stratégie choisie pour l’accomplir. De nombreux plans ont été proposés ces dernières années – Territoires d’industrie en 2019, France Relance en 2020, puis France 2030 en 2021 – mais la cohérence n’est pas toujours au rendez-vous et l’équation est complexe. La disponibilité du foncier pour installer des usines est un enjeu majeur, de même que l’investissement dans la formation pour enseigner aux jeunes les métiers industriels de demain.

Trois chantiers majeurs sont néanmoins devant nous. En France, l’industrie est structurée en 19 filières, de l’automobile au nucléaire en passant par l’alimentation, l’aéronautique, la chimie ou l’électronique. Une filière, selon l’Insee, désigne « l’ensemble des activités complémentaires qui concourent à la réalisation d’un produit fini » : de l’acier à la voiture, par exemple. Pour Olivier Lluansi, cette approche, qui remonte à l’après-guerre, est dépassée. « Dans l’automobile, faire la carrosserie n’est pas vraiment stratégique pour la France, contrairement à la batterie ou l’électronique de puissance », explique-t-il. « Il faudrait cibler les éléments stratégiques dans chaque filière, et ce travail n’a pas été fait jusqu’au bout ». En restant enfermée dans cette logique de filières, la France souffre d’une industrie trop éparpillée et incohérente, et les aides publiques et les investissements sont presque vainement saupoudrés.

Le deuxième chantier concerne la diversité et la densité du tissu industriel de base. Ce dernier ne doit pas être négligé au profit de l’innovation et de « l’industrie du futur » (qui mobilise le numérique ou l’intelligence artificielle). Production industrielle à faible contenu technologique, ce tissu est indispensable pour fabriquer les produits innovants. Les objets numériques supposent la fabrication de câbles et de boîtiers, et utiliser l’hydrogène comme carburant implique de produire des vannes hermétiques pour le stocker. « Ce n’est pas forcément le dernier brevet d’un laboratoire de recherche qui permettra cela », souligne Olivier Lluansi.

Panne de récit

Dernier grand chantier de la réindustrialisation : créer une demande pour les produits made in France. Pour Aurélien Gohier, la responsabilité est avant tout celle de l’État, des collectivités locales et des entreprises. « Ils ont un effet de traction gigantesque », affirme-t-il. Mais le chemin reste long à parcourir. En janvier dernier, la mairie écologiste de Lyon a équipé ses agents municipaux de 450 doudounes…. produites au Bangladesh. Un bilan carbone désastreux et un message regrettable envoyé à l’industrie française du textile. « L’État reste pris dans des critères d’achat à moindre prix et les grands groupes n’ont pas basculé dans l’achat responsable », déplore Olivier Lluansi. « Pourtant, en achetant au moins 30% français par catégorie de produits, ils tisseraient un lien avec des fournisseurs locaux, sécuriseraient leur approvisionnement, réduiraient leur bilan environnemental et créeraient de la valeur pour leur entreprise. »

Les consommateurs, quant à eux, doivent aussi changer leurs habitudes. Pas si facile. Après des années à acheter des produits peu chers fabriqués à bas coût en Asie, il est difficile de s’habituer à consommer du made in France, au prix souvent plus élevé. Pourtant, l’envie existe : selon un sondage Ifop de 2018, 59% des Français « regardent le pays de fabrication » souvent ou systématiquement lorsqu’ils font leurs achats, et 74% seraient prêts à payer plus cher pour consommer français.

Mais comment convaincre d’acheter des produits fabriqués en France ? Pour tous les observateurs de l’industrie, il faut créer un récit, un projet de société qui fédère. « Nous n’avons pas de vision collective de ce que nous voulons faire de notre industrie. On parle d’industrie verte, mais c’est encore très vague », constate Olivier Lluansi. Un avis partagé par Aurélien Gohier, dont la newsletter et le podcast Industry4good visent à apporter une pierre à l’édifice : « Le général de Gaulle voulait rebâtir l’industrie pour être une puissance indépendante face aux États-Unis, ce qui réunissait tout le monde. Aujourd’hui, on explique mal aux Français que l’industrie peut être le vecteur d’un nouveau modèle social et environnemental ».

Selon lui, le discours actuel est trop centré sur la recherche de compétitivité et est donc en décalage avec les priorités des Français : un travail stable, avec du sens, et permettant de vivre décemment. Plus de 90% des Français pensent que l’industrie est importante pour l’activité économique des territoires, fabrique des produits de qualité et est une fierté pour les régions et le patrimoine, d’après une étude de l’Ifop de mars 2022. Du sondage à la réalité, il reste encore quelques pas.

Par Aurélien Tillier

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