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Pourquoi les historiens consacrent-ils leur vie à l’étude d’un sujet ? Ce n’est qu’à 74 ans qu’Annette Wieviorka, spécialiste de la Shoah, se livre réellement sur la raison d’être de son travail d’historienne.
Poursuivant son œuvre autobiographique après Mes années chinoises (Stock, 2021), celle qui a, de son propre aveu, toujours préféré « l’histoire de tous plutôt que celle des miens » publie une enquête passionnante et émouvante sur sa propre famille.
Au commencement, l’idée était d’écrire sur son grand-père, Wolf Wieviorka, écrivain juif polonais mort en déportation. Avec le temps, son souhait fut d’offrir un tombeau de papier à sa tante Berthe, disparue sans descendance en 2012. Finalement, Annette Wieviorka retrace les destins croisés de ses parents, Aby et Rachel, de ses oncles, tantes et grands-parents, dont trois sur quatre sont morts avant sa naissance, pendant la Seconde Guerre mondiale.
D’une écriture enlevée, elle mêle d’innombrables archives à ses souvenirs, ses émotions, ses regrets de n’avoir pas posé certaines questions. La vie de ses aïeux reprend forme par les lieux qu’ils ont habités, de leurs villes natales en Pologne à leurs adresses à Paris. De Nice et de la Suisse, où certains se sont réfugiés, à Auschwitz, où d’autres ont péri.
Au-delà du simple récit de vies, qui rappelle l’importance historiographique du témoignage à recueillir avant qu’il ne soit trop tard, c’est l’histoire de la première moitié du XXe siècle que raconte Tombeaux, avec ce « souci d’exactitude comme devoir civique » propre à toute l’œuvre d’Annette Wieviorka : l’expérience de l’immigration, la misère des réfugiés, la communauté yiddish de Paris, l’oscillation permanente et générationnelle entre judaïsme religieux et judaïsme culturel, la guerre, Vichy, les camps – et comment se reconstruire après l’horreur.
« Aucune expérience humaine n’est dénuée de sens ou indigne d’analyse », a écrit Primo Levi. En ce sens, Annette Wieviorka rend bien plus qu’un hommage aux morts qui la hantent. Elle fait de ces derniers les vibrantes incarnations d’une histoire dont tant d’acteurs ont disparu sans laisser de trace.
Note de lecture publiée dans la Revue des Deux Mondes, novembre 2022
Tombeaux. Autobiographie de ma famille, d'Annette Wieviorka, Seuil, 384 p., 21€, prix Femina Essai.
Par Aurélien Tillier
Note de lecture publiée dans la Revue des Deux Mondes, novembre 2022
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